
Après un premier épisode consacré au lancement du chantier gouvernance et un second à une vision prometteuse, cet épisode est consacré au processus de décision qui a conduit à la création de l’agence.
Le 10 juillet 2018 s’est tenu le séminaire de clôture de la démarche gouvernance à l’INSEP en présence de toutes les parties prenantes. Au delà du sport défini comme un bien commun, de la création de l’agence nationale du sport, de la désignation d’un manager de la haute performance, de la création des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs, ce sont une cinquantaine de propositions qui ont été formulées pour accompagner les acteurs dans leurs évolutions, pour en faciliter le cadre réglementaires d’évolutions, pour adapter les moyens aux enjeux … (cf le tableau à la fin de cet article).
Restait à appuyer sur le bouton de la décision, un processus qui prendra presque un an…
Matignon était toujours sur le scénario AP 22 : une agence uniquement pour le haut niveau et les compétitions sportives. Au plus haut sommet de l’Etat on n’a jamais été convaincu par cette nouvelle gouvernance.
C’est le scénario AP 22 qui avait les faveurs. Un scénario selon lequel l’ « Agence nationale du sport était un établissement public cogéré avec le mouvement sportif, en charge du sport de haut niveau et de la préparation sportive pour les grandes compétitions. Le soutien au mouvement sportif serait redéfini à travers la remise en cause du soutien financier aux fédérations les mieux dotées, la mise en extinction progressive du corps des conseillers techniques sportifs (CTS) et l’attribution d’une subvention aux fédérations les moins dotées pour le recrutement de leurs cadres techniques. La création d’une telle agence pourra d’ailleurs conduire à s’interroger sur l’opportunité du maintien d’un ministère de plein exercice. »
-> A lire le rapport du Comité Action Publique 2022
L’agence contre les cadres techniques
Mais c’est au début de l’été que tout bascule lors d’une réunion entre le cabinet du Premier Ministre et celui des sports. Le deal : l’agence contre les cadres techniques. On vous laisse créer l’agence, qu’est ce que vous nous donnez en contre partie ? C’est ainsi que naitra en septembre la crise des cadres techniques. La suppression de 1600 postes commandée à Laura Flessel mais gérée par Roxana Maracineanu. "Un repositionnement des personnels une évidence", selon Matignon : "Il ne s'agit pas de remettre en cause l'action des CTS mais de les intégrer davantage à la vie des fédérations."
-> A lire : Le ministère des Sports est prié de supprimer 1 600 postes d'ici 2022
La nouvelle ministre des sports avait été chargée par le Premier ministre le 18 juillet 2018 d’une mission sur « le renforcement du plan de lutte contre les noyades et du programme de formation à la nage de l’Éducation nationale. »
Une nouvelle ministre qui n’avait visiblement pas toutes les clés en main. Une ministre qui considère que le problème lui est « tombé un peu dessus » mais qui est « est en phase avec la feuille de route qui lui a été confiée par le Premier ministre » Lien vers le site du Parisien.
-> A lire : Suppressions de postes aux Sports : le dossier déjà brûlant de Maracineanu
Un budget à la baisse
Outre la suppression des cadres techniques, Matignon avait prévu de baisser le budget des sports de 30 millions d’euros. Dès le mois de juin 2018 j’ai défendu l’idée que la modification de la gouvernance et le financement étaient intimement liés. J’affirmais à l’époque que « Un financement insuffisant remettrait en cause cette gouvernance partagée et poserait la question de la place de l’État dans l’organisation territoriale du sport ».
J’ai toujours pensé que pour réussir les Jeux de 2024 d’une part et préparer l’héritage (plus de 3 millions de pratiquants) d’autre part, un principe de financement simple serait adopté : « le sport finance le sport ». En d’autres termes un déplafonnement des trois taxes qui financent actuellement le sport : la taxe Buffet, la taxe sur les paris sportifs et la taxe sur les paris en ligne.
C’était faire preuve d’une totale naïveté. Rapidement s’est imposée l’idée que le gouvernement souhaitait avec cette réforme faire des économies…. Le mouvement sportif a bien essayé de peser sur les choix du gouvernement en lançant la pétition « pour que le sport compte » en septembre 2018. En vain.
Le gouvernement avait décidé d’imposer le scénario AP 22 coûte que coûte…
Dans ce contexte fallait-il créer l’Agence nationale du sport avec une double compétence performance d’une part et développement des pratiques d’autre part ? Sans doute pas (on reviendra sur l’intérêt de créer une agence sans donner les moyens à l’Etat d’intervenir sur les territoires dans notre prochaine publication) d’autant plus que le Conseil d’Etat était contre.
-> A lire : Le Conseil d'État émet des réserves sur la future Agence nationale du sport
Tout comme les inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports qui avaient déposé un recours contre la création de l’agence.
Finalement l’agence sera créée en 2 temps
D’abord avec la nomination de Jean Castex délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 comme président de l’agence en novembre 2018. Quoi de mieux pour aligner les planètes que de faire présider l’agence au délégué en charge des JO de Paris 2024 ? Un délégué interministériel qui a toutes les manettes en main à la fois sur le développement des pratiques, l’héritage, la performance et les Jeux. Un délégué reconnu, indispensable mais régulièrement nommé pour exercer d’autres fonctions et finalement en charge du déconfinement.
Ensuite avec la nomination du préfigurateur de l’agence début janvier 2019 qui deviendra quelques mois plus tard directeur général de l’agence. Une nomination pour le moins peu transparente dans sa procédure avec une ouverture de candidatures où 3 candidats ont été sélectionnés pour les tests et les oraux et au final pour que le candidat de la ministre soit imposé par la ministre elle-même.
« les débuts de l'Agence ont été un peu tumultueux » avait déclaré Jean Castex dans l’Equipe le 8 octobre 2019. Avant les débuts de l’agence qui feront l’objet de notre prochaine contribution, la décision déjà avait été compliquée.
Le prochain épisode de notre série sur la gouvernance portera sur la mise en œuvre chaotique.
Rappel des propositions issues de la gouvernance du sport
MIEGE Colin - 16/04/2020 14h:55
L'article est parfaitement documenté, et reflète bien le parcours qui a conduit à la situation actuelle. On perçoit cependant une certaine amertume dans le propos. Il est vrai qu'on peut se demander à présent quelle est la réelle plus-value apportée par l'ANS, d'autant que sa déclinaison dans les territoires n'est toujours pas mise en place. L'impression d'une réforme insuffisamment préparée et mal conduite s'impose...
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